Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

samedi 20 octobre 2012

Le monde est effacé ce matin, seuls les décombres

La ville a disparu. Seuls les décombres de la menuiserie et une voiture blanche sont visibles.
Le ciel est grand. Blanc.
Mon espoir d'hier soir, qu'est-il devenu?
A la radio, une jolie voix féminine explique qu'il faut, pour les utiliser, nettoyer les expressions toutes faites. Ce qui me rappelle que je dois aller à la laverie. On lave son linge sale en famille, pourtant. Mais ici, où est la famille? Pas de photos sur la cheminée. Arrangement de visages absents pour ne pas les oublier.
Juste sur la table, à côté du lit, un oiseau mécanique.
De l'espèce bec dur.

Je crois n'être jamais allée dans une laverie. Ce sera une aventure. Il faut, m'a-t-on prévenu, apporter sa lessive et un livre. Non pour laver la langue du livre et de la sorte la renouveler, mais à cause du temps.
Le temps d'une lessive.
Depuis deux ou trois jours, je repousse cette visite. J'avais repéré celle qui est à côté du cimetière du Nord. Mais vraiment sinistre et trop proche de la lessive finale. Celle des morts. Une autre, rue de St Malo.
Froid aussi ce matin.
Mains glacées.
Pieds froids.
J'ai rêvé hier soir de la cheminée de Boulbon.
Comme on dit dans le sud, je me languis.
Alors je lessive à grands bols de café noir ma mélancolie en lisant beaucoup, en brodant un peu, en imaginant ce que je vais écrire/ne pas écrire.
Lessive de la folie que Guenaël Boutouillet a publié sur remue.net. Toujours l'inquiétude du linge, ce qu'il révèle d'intime et que soudain la laverie risque de dévoiler si par hasard...Le soleil chez moi sèche le linge que nous étendons dehors et qui devient drapeau joyeux au vent. Mais ici ce sera la machine qui séchera mon linge. Et l'auto nous conduira rue de St Malo, le linge et moi, à la laverie. Vies des machines qui machinent nos vies: ordinateur, téléphone, lave-linge etc...Sans oublier l'auto! Et Caproni
nous donne la clé qui relie la lessive et les morts:

Car brouillard il y a, et le brouillard est le brouillard, et le lait
dans les verres est encore brouillard, et brouillard
dans l'oeil de la femme qui lave
en savates le seuil de ces pauvres bars
où se trouve le passage de l'Erèbe.

En résidence, sont éliminées évidemment les tâches du quotidien. Et aussi les taches  sur nos vêtements. Comme pour Smouroute qui tente vainement de cacher la tache qu'il a sur lui, plumes d'oiseau et sang léger, mais signe tout de même d'un assassinat.
Rouge-gorge au jardin que surveille le chat derrière la vitre de Beauséjour.
Deux de mes amies ont écrit des textes sur les oiseaux: Lucetta Frisa sur le chardonneret et Hélène Sanguinetti sur le rouge gorge. J'ai lu hier soir celui d'Hélène écrit en hommage amical à Pascal Quignard. Venu samedi dernier à Rennes, aux Champs-Libres.

La petite voix féminine sur France Culture semble s'entêter à défendre un point de vue que je n'ai pas écouté et soudain, entendant le mot hétéronome, je pense à la patrie portative, au pays, au paysage de la France, au livre de Bailly dans lequel j'ai voyagé hier soir et cette nuit. Aussi repense au livre de Camille de Toledo où il tord le cou au mot origine. Et me revient la lancinante question que pose à nous le paysage: reconnaissance ou dépaysement et surtout ce mot qui semble a priori définir le poète ou le créateur, heimatlos, je sais que je veux écrire à partir de ce mot mais quand je regarde tous les livres qui ici m'entourent, je suis sur le point de faillir au contrat, comment écrire encore après tous ces mots, tous ces livres. Et voilà que je reçois des images de chez moi (étonnante facilité à dire ce qui est si difficile à penser: chez soi?) et des roses et des arbres avec la lumière mouillée d'un matin d'automne.


"L'homme pense, Dieu rit".
Proverbe yiddish cité par Kundera.
Auquel j'opposerai encore mon cher Caproni:

Dieu de volonté,
Dieu tout-puissant, essaie
(efforce-toi) de toute ton énergie
- au moins - d'exister.

Où est le soleil, un de nos chers petits dieux du sud? Il me faudra le chercher aujourd'hui sur les routes de Bretagne. Au loin, mon camarade JCB vole sur les eaux de l'Océan Indien. Plus près, EA joue la sorcière du Berry. Ici, à Beauséjour, danse du soleil à tenter avant de mettre un pied sur l'herbe. Et à la radio, une voix parle des oliviers et ceux du jardin là-bas, au loin, toujours gris toujours brillants, me questionnent sur ce que c'est un pays, une appartenance à un paysage, à une lumière. Autrefois on mettait des pièces sous les racines de l'olivier qu'on venait de planter. Et je repense aux olives que je cueillerai bientôt pour les amener au moulin. Monde méditerranéen dont je suis issue, est-ce là une origine, mot refusé, y ai-je des racines, mot encore refusé (cf ce que disait Michaux), la nostalgie parle-t-elle la langue maternelle ou plutôt une langue dont on ne sait rien et que l'on regrette justement de ne pas connaître?

Il est temps de couper court et d'aborder au monde, celui dehors encore tout enveloppé de brouillard.
Mettre ses pieds dans l'herbe mouillée. Quitter l'asile de Beauséjour.





(1)

remue.net/spip.php?article4748 

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