Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

mardi 12 février 2013

Cheval vole comme arbre vole


Cheval vole
comme arbre
vole
comme parole
vole
oiseau sur cheval
rêve en vol
comme arbre
comme parole
comme caillou
volent
papier débris morceaux
même le front blessé
de la statue vole
et nous nous en allons
collage SD
cheval et rêve en vol
vers papier-nuage
vers caillou-feuille
avec arbre pré herbe
et de l'un à l'autre
fil de soleil et fil d'ombre
font des ponts
sans ciseaux
sans les mains
sans les pieds
avec caillou-nuage
avec feuille-papier
arbre-cheval en vol
et oiseaux oiseaux oiseaux


jeudi 7 février 2013

Avenue Bourguiba/Odessa/Montrouge



Sont trois
hommes morts
Sont deux
animaux morts

Je suis allée chez un tueur
et je suis revenue avec eux
2 morts dans un grand sac

l’un était né en 1974 à Odessa (Texas)
l’autre en 1926 à Montrouge (France)
sur le journal on ne voit pas la photo des deux bêtes
que j’ai apportées aujourd’hui chez le tueur de poules


sur le journal le plus jeune avec une arme
en treillis et lunettes noires béret et jambes
écartées
le deuxième pas de photo l’inventeur souriant
le premier rien inventé beaucoup tué 255
pour sauver l’amérique
le guerrier mort à presque quarante ans sur un stand de tir
récréatif
d’une rafale de pistolet semi-automatique le 2 février
par un jeune soldat d’Irak qu’il entraînait
à jouer
les rafales du vent ne les réveilleront plus la nuit
ni les uns ni les autres
le troisième non plus
l’inventeur mort à Villejuif à quatre-vingt-six ans
n’allait pas à la chasse aux biches ni aux oiseaux
faisait voler un cerf créait une couronne sans être roi
je ne sais pas pourquoi il n’y a pas sa photo
ni celle du troisième
la feuille ira au feu

mais le troisième mort marche encore sur l’avenue

mercredi 6 février 2013

Tunisie et Poésie


Tunisie/poésie

Est-ce que la beauté peut apaiser la colère ?
Cette nuit j’ai remarqué que Tunisie se termine comme poésie, en français.
Oui, et alors ?
Elucubration insomniaque.

La Marsa, janvier 2009

Je ne crois pas que la poésie puisse dire ce que nous avons ressenti hier, quand la mort de Chokri Belaid a été annoncée.
Je ne sais pas dire/écrire/ les sentiments qui m’ont traversée durant la journée.
Et encore ce matin.
Pourtant dehors le matin s’est levé, glacial et rose.
Annonçant le mistral.

Voir ou ne pas voir le Mont Ventoux de sa fenêtre.

Depuis plusieurs jours le vent.

Froid, violent et là-haut, la neige.

A presque 2000 mètres.

Celle dont je rêve, rose et légère au coucher de soleil.

Frissonnante du pas des chevreuils.
De la fenêtre, vent, feuilles en valse, cyprès secoués et l'arbre mort, celui que le voisin irascible a tué.

Mais pas le Mont Ventoux, royal et enneigé, à qui nous tournons le dos.

A un moment de la route que je prends pour revenir à la maison, il surgit, impeccable de blancheur, là-bas, pas très loin en réalité, mais inaccessible.
Fouji Yama du sud, isolé et élégant comme jamais.
Il se tient entre la plaine et la colline et disparaît dès que j'approche de la maison.

Depuis ma fenêtre je ne vois qu’un bout de colline, un toit et de la terre labourée. Quelques arbres et au loin là-bas, la Tunisie. Lorsque l’avion vire, la mer éblouit.
Et les rochers. Quelques îlots. Et puis Tunis.

Algérie, Tunisie.
Deux pays qui sont au cœur.
Alger depuis Marseille. Zohra perdue, jamais revue.
Comme notre jeunesse. Perdue ?
Alors que vient faire la poésie là-dedans ?
Heureusement elle existe comme le Ventoux.
Comme la Tunisie et les îles de Kerkennah.
Se bornant tendrement à finir comme elle, bordée par la mer.



lundi 4 février 2013

Tire à ta fin chasseur du matin: ça ça ça ça!

Tout se tire.
Tire à la traîne, ciel de traîne.
Traîne à la main, la reine.
Traîne pas tes pieds.
Tire à ta fin, chasseur du matin.
Arriver à finir.

Oui, ça va finir, il faut que ça s'arrête: parodie d'un texte becketien
qui reste là, en travers de la table.
Arête de gorge.
Arête de falaise devant Marseille : on y revient.
Blanches falaises de calcaire sur mer bleue: couleurs de la ville et de l'OM.
Ne pas oublier que cette ville est blanche et bleue.

Si peu à faire pour arrêter que ça en devient.
On ne sait pas ce que ça produit, un arrêt comme ça, peu de choses.
Alors on hésite et évidemment, obsession oblige, ça se poursuit.
Je poursuit ça. ça me poursuit. on ne s'en sort pas.
Et bientôt le mois de mai.

Avant, il y a mars.
Mois des fous, ça va pour moi.
Reine de Rennes? Pas moi.
Dépit amoureux?
Pas le temps.
Quoi faire de tout ce fatras de ça de si de là.
On ne sait pas.
Alors ça s'affaire à en faire des tas, par ci par là.
Tas de verbes, tas de merdes, tas de tout.
Tatou: animal aimé de ma mère.
Tatoué: je sui un animal tatoué ce matin par le vent immobile.


Pour ne pas arrêter tout est bon: même une forme de tétanie qui affecterait le langage.
En l'obligeant à bégayer toujours la même syllabe: ça ça ça ça. On peut entendre aussi: sa sa sa sa.
Ca dépend de qui comment où on écoute.
Oui?
Ca quoi?
Ca s'arrête?
Mais non.
Un enfant et son ballon de foot qui dit ça me plaît la Pologne mais je n'y suis jamais allé c'est ma grand-mère ça suffit pour poursuivre une manie matinale. Ensuite on taille dans le désordre des papiers et en sort une Dulle Griet plus vraie que la dame du tableau de Smouroute et on reste cloué à la regarder.
Comme ça.
A nouveau les ex-votos.
Comme ça ça n'arrêtera pas aujourd'hui.
Nous ne sommes que le 4 février.
Qu'allons-nous faire de tout ce ça en trop?





dimanche 3 février 2013

tout le matin s'ouvre devant ce si peu: partir brouter au Tibet

"Partez brouter au Tibet"
F.Venaille

ce si peu que je suis
ce si grand que j'ignore
devant le vent devant
à compter ses poings
maille à maille défaite

au pré un homme en secret

ce si peu du matin vent fort
arbres en tempête ce si vif
à la fois cavalier et cheval
à la fois avion et passager
ce si peu que je suis le sait

ce si peu le voit cet homme

cheval tempête ce si doux
qui lèche mes doigts de pied
et l'herbe et le sel des routes
animal de si peu de si grand
sous sa peau l'écume le sang

homme qui cherche ce peu
je le vois en secret lui qui
mais lui ne voit que le peu
qu'il cherche au creux du sol
et le vent est autour de nous

ce si peu que je suis ignore ce que c'est ce qu'il cherche l'homme du vent debout là planté dans la terre
et ce qu'il est et ce que je sais ignorent ce que je creuse dans l'air de la page aussi troué par le vacarme
du vent que la fenêtre la bouche les mains et les jambes qu'elles soient dedans ou dehors dans le champ


mercredi 30 janvier 2013

..."être méditerranéen, c’est participer à un récit de voyages" .

Alors le voyage.
D'abord un reste de colère à évacuer.
L'identité méditerranéenne ne peut être restrictive.
Elle est le bateau d'Ulysse, elle embarque celui qui sent en lui le voyage.
Pour qui toute terre est mouvante.


La Méditerranée est la mère de tous les océans, de toutes les mers, de tous les lacs, fleuves et rivières.
Berceau-bateau-amande-amère-mère-avide-cercueil de tempête.
On ne peut y échapper.
Jamais prison, jamais raison.

Tout ce qui enserre, enclôt, entoure, enferme, la Méditerranée l'ouvre, le brise, le défait.

Herman Melville est méditerranéen comme Moby Dick.
Et le fracas des vents et de la mer.
De Nantucket à Kerkennah.


Du Nord extrême tant aimé ( Laponie des étés et des hivers sans fin) au Sud palpable comme le sable.
Ancêtre naufragé en mer de Chine sauvé par la vierge du bord.

Ce soir mal à la terre. Trop loin du Portugal, trop loin de la Tunisie. Trop loin du Cap Creus. Trop loin de Marseille.





lundi 28 janvier 2013

Toujours choisir la troisième solution: foutraque mal le dit!

Ecrire trop.
Ecrire assez.
Trop peu.
Trop.
Comme on mange.
Trop.
Ou pas assez.
Juste ce qu'il faut?
N'existe pas.
Poètes maigres contre poètes gras?
Ou le contraire.
Femmes minces contre grosses femmes .
Maigreur sacrée royale.
Vaches maigres, vaches grasses.
Veau d'or.
Plutôt le contraire.
Toujours choisir la troisième solution.
Fatras foutraque de fatrasie de Bolano.

Dessin SD

Démesure.
A petits pas mesurés.
Quand on est vieux, facile de marcher petits pas.
Quand on est jeune, courir.
Si simple, déplacer les pieds sur la terre?

Terre qui sent.
Odeurs mauvaises qui odorent le nez.
Corps qui sentent. 
Sente de terre au bord de Bretagne.

Terre qui colle aux pieds.
Si pieds nus, sinon chaussures.
La mort en terre. Rarement en ciel.
Quelquefois en mer.
canal St Martin, photo SD

Case à remplir: maisons en langue d'Italie.
Besoin de remplir page, ventre, panier, jardin.
Langue déjà usée à parler: foutraque bottin traverse.
Et qui continue à remplir ta bouche. 
Voire cheveux, poils, ongles poussant en anarchie.
Voirie des mots de trop: bordilles en insultes de mère.

De bordilles à bordures en broderies on aborde en terre.
Terre mouvante à force de trop.
Si peu de forces restent encore aux aimés.
Les lointains aimés, toujours à se terrer en silence,
morts discrets,
pas comme bavarde grosse à trop écrire mal le dit.

Dessin SD






vendredi 25 janvier 2013

Le présent passé: trois souvenirs fragiles

Il s'agit aujourd'hui d'inventer le temps du sans patrie.
Son espace, on l'a vu, est un espace dilaté, distordu, mêlant le nord et le sud, l'est et l'ouest.
A son image.
On l'a vu se tordre en tous sens pour épouser le fil.
Les méandres du fil et ceux de la brodeuse.




Ce temps du sans patrie qui n'existe pas comme temps grammatical, ni mode verbal, pourrait se nommer le présent passé. Les latinistes seront d'un évident secours car en latin il y av des temps et modes qui auraient pu en être proches.
Seul temps humain véritable, le présent passé.
Temps que les enfants explorent et que les adultes ont peur de vivre.

C'est en rangeant de vieux albums de timbres où la géographie ancienne parle aussi de l'histoire et de ses révolutions, que ces mots, passé présent, me sont venus à l'esprit. Il y avait là de vieilles cartes postales et des morceaux déchirés d'enveloppe qu'on avait conservés pour les timbres. S'y lisaient encore les noms et un peu de l'adresse. Tout, dans ces albums et les papiers qu'ils recelaient, parlaient une langue ancienne à l'image de l'encre violette utilisée par le ou les collectionneurs. Sur celles que j'ai photographiées, les timbres témoignent de la présence de l'expéditeur en Indochine, plus exactement à Saigon, nom qui a coloré mon adolescence parce que ma mère a cru longtemps pouvoir hériter d'un terrain qui avait appartenu à une tante et un oncle, vraisemblablement les correspondants de mes parents. 



En regardant les bouts d'enveloppe qui portaient l'adresse de mes parents, m'est venue l'envie de leur écrire. De leur envoyer une lettre à cette adresse, rue des Polytres à Marseille où ils habitaient avant ma naissance. Tous les deux, si jeunes, si beaux aussi, dans leur ignorance de ce qui allait les séparer et les tuer, je les imagine ouvrant ma lettre. L'envie aussi de lire leur réponse étonnée: qui êtes-vous pour nous écrire? 

Ils vivent encore dans leur passé et ce passé est présent dans l'écriture de leur adresse et dans l'encre bleue. S'est glissée entre eux une autre enveloppe déchirée où figure mon nom. J'habite avec ma mère, mon père est parti depuis longtemps, et je crois à la collection de timbres qu'ont entrepris des parents oubliés. On m'écrit, une amie d'origine espagnole qui m'agace un peu parce qu'elle dit du mal du Portugal et qu'elle est très catholique. Et puis elle est assez riche et fait du cheval. Tandis que je vis avec ma mère dans une achélème, à Marseille et ne suis jamais montée sur un cheval, ni partie à Tossa de Mar, sur la Costa Brava. A cause d'elle, j'ai commencé une collection de cartes postales. Presque toutes envoyées par elle d'Espagne. Je pourrais écrire à cette amie que je connais maintenant Blanès puisque j'y suis allée l'an dernier en souvenir de Roberto Bolano, un chilien. Mais pas du tout en pensant à elle, que j'avais tout à fait oubliée.

Présent passé où se bousculent en cette après-midi de grand vent glacé et de soleil l'Espagne, ma mère, cette amie de Béziers, Bolano comme souvent, mon père et ce nom de Polytres dont je n'ai jamais trouvé à quoi il se rapportait. Dans ce présent disparu tout va ensemble comme dans les albums de timbres où voisinent la Russie avant la révolution, les colonies françaises et l'Algérie indépendante. 



Mais cette après-midi, j'ai redécouvert l'écriture d'André Suarès : "Cette magnifique table de feu et de sang, entre l'Europe et l'Afrique, l'Espagne..." et je regrette que le texte de Marsiho joué, vécu même par Philippe Caubère (vu au Festival d'Avignon l'an dernier et joué aussi à la Maison de la Poésie cet hiver) ne soit pas présent pendant l'événement Marseille 2013, présent passé? 

A l'amie espagnole de Béziers dont j'ai (presque) tout oublié, je dédie mon incapacité à mémoriser la 
manière de faire une tilde sur un clavier d'ordinateur. 

A l'amie partie, perdue, envolée le samedi 12 janvier, que puis-je dédier si ce n'est cette rose au doux nom qu'elle aimait, cuisse de nymphe émue? Que le vent disperse ses pétales dans le vent près de la mer...Et l'accompagnent les mots d'une poète, Albane Gellé:

Tenir à plat milieu des
mains trois souvenirs fra-
giles épais cherchant à voir
par-dessus bord maladroite-
ment posés debout.

Si je suis de ce monde, Cheyne éditeur.





mercredi 23 janvier 2013

En SUISSE avec SOUTTER!





A PROPOS DE LOUIS SOUTTER(1871-1942)


« Ce n’est ni beau ni correct, c’est exact,
Je peins avec de l’encre et du sang, je peins vrai. »

Herman Hesse, poème sur Louis Soutter



Peindre vrai. Vivre vrai.
La Suisse est le territoire-prison, la maison et l’asile de Louis Soutter.
Suisse marâtre et maternelle à la fois.

En 1923, à Ballaigues, dans le canton de Vaud, où il est enfermé contre son gré, Louis Soutter fait éclore la peinture où l’on attendait la folie.
En 2008, à Ballaigues, on a tout oublié de l’asile et de Louis Soutter. Sur les dépliants touristiques, on vante la beauté de ce charmant village suisse aux belles maisons traditionnelles. Au cimetière on trouve toutefois une plaque commémorative. Louis Soutter, la honte de la famille devenu la honte de Ballaigues ?
Revenu de tout et des Etats-Unis, lâché par l’ambition, le mariage et même la musique, Louis Soutter à 52 ans entreprend une œuvre à l’âge où beaucoup ont renoncé à faire oeuvre.
C’est un homme usé dont le corps pèse peu. Louis Soutter est tout entier tourné vers l’intérieur, pratiquant l’abstinence, asséchant ses personnages à coups d’encre et de crayon jusqu’à les rendre essentiels, sans boursouflure ni chair, mais remplis d’intensité et de mouvement. « Regarder dehors », écrit-il à son cousin Le Corbusier,  « pourquoi ? » Lui n’aime que les maisons sans fenêtres. A l’asile, tout est transparent et chacun est observé. Pas de dehors, ni de dedans.

Plus le temps passe et à Ballaigues le temps est long au milieu des vieillards et des fous, plus L.S. s’octroie de temps en temps des échappées, comme son compatriote, l’écrivain Robert Walser, interné à Herisau, dans le canton de Appenzell-Rhodes Extérieures, et la marche devient l’exercice qui permet de supporter l’enfermement, les brimades et les moqueries du personnel. Marcher comme jeûner permet d’extirper de soi le gras, celui de la chair mais aussi de l’esprit et de revenir vers l’asile, vers le dessin furieusement, en utilisant tout le corps mis à nu. Il se livre de plus en plus avec passion à une peinture gestuelle et emportée, dessinant avec ses doigts, comme s’il obtenait de ses jeûnes répétés une tension et une énergie renouvelées. C’est ainsi que s’accomplit une étrange danse zigzagante sur le papier et dans la pièce où peint l’artiste. Quelques regards amicaux et avertis le libèrent un peu des sourires sarcastiques des soignants. Son travail, peu à peu, est reconnu comme tel. Jean Giono lui donne de quoi acheter papier et crayons. Son cousin Le Corbusier lui apporte des livres. De la même manière qu’il détourne les livres que lui offre son cousin en dessinant d’extraordinaires marginalia , il détourne les chefs d’œuvre de la peinture en les copiant et en les interprétant de sorte qu’ils deviennent des œuvres de LS à part entière : crucifixion, pietà, golgotha, madone, tout lui est bon. Peintures noires, comme on le dit de Goya mais aussi de Soulages, celles de Soutter laissent parfois un peu de place à la couleur. Mais le noir prédomine, il est le sang de sa peinture.


Le peintre est aussi poète. Les titres qu’il inscrit à l’encre sur ses dessins forment une longue chaîne poétique, dévoilant un imaginaire riche et singulier.
Qu’on s’attarde sur ses titres et on verra se déployer un univers étrange et personnel où la mort croise la vie sans cesse, où la danse et l’immobilité se rencontrent. Qu’on en juge plutôt avec ce choix de titres:
L’humour noir:
Depuis l’orang-outan jusqu’à l’humain,
L’obus printanier
Midi des nonagénaires
La mort :
Dans un grand vase vide en cristal meurent des fleurs,
Eclaboussures du crime,
Crépuscule du gangster,
La religion :
Enfer des abbesses,
Pâques, ceci est mon sang,
Mutilés par les saints,
La femme entre la croix et le serpent
L’angoisse :
Soleil de la peur,
Echos de détresse
Catastrophe,
Coup d’envoi au crématoire
La nature :
Nature fabriquée,
Cerises cyclopes en enfantement clos,
Les dons des grappes
Trois êtres des bois sans vie

L’humain

Tourments des nus, temps du pneu

Employées de sang
Station des irrépréhensibles
Hôtes de roulotte,
Souplesse,
Entre nus, gâteux tous
Pauvres gens et leur bois mort.

Ce ne sont que quelques exemples de la dimension que Louis Soutter donne à ses oeuvres en utilisant les mots à sa manière pour traduire l’inquiétude fondamentale qui le traverse. Son écriture est sèche et se cale dans les creux du dessin, parfois raturée, inversée même ou illisible. Ces titres pourraient être des phylactères comme dans Nous souffrons d’amour ou des sortes de légendes comme dans De minuit au jour, accompagné du mystérieux et troublant Trapeau de SD. Dans Salons américains du tragique New York, l’écriture se fait palimpseste et se cache dans l’oeuvre.
En lisant les différents titres, comme en regardant les dessins, nous découvrons des entrées possibles dans l’univers de Soutter, des échos de sa vie ( Jeûne par exemple ou Entre nus, gâteux tous, ou encore Midi des nonagénaires), les lieux qu’il a fréquentés mais inscrits de telle façon que le spectateur soit aussi lecteur de l’œuvre en train de se faire. Il n’y a pour s’en convaincre qu’à observer le travail d’enlumineur auquel il se livre sur les ouvrages qu’on lui offre.

L’encre, les mots, les livres et les dessins.
Tout un territoire à explorer.
Le territoire noir de Louis Soutter, peintre, suisse et poète.

SD

mercredi 16 janvier 2013

Le vent, Marseille et les ex-votos



Aucun rapport entre le vent, glacé qui souffle sur la plaine, et les ex-votos de la Chapelle du Verger, près de Cancale ?
Sans doute.
Si ce n'est que ce matin, le ciel a ce bleu que l'on retrouve dans la peinture de la mer, sur ces petits tableaux (il en existe des grands) dont le souvenir est vivace au point que j'ai commencé une série.
Après les bonzoms, les ex-votos?
En fait, les deux trouvent leur origine dans Marseille.
Notre Dame du Verger comme Notre Dame de la Garde, si elle est plus modeste, se tient face à la mer.
Marseille est aussi un pays de marins et de pêcheurs. la mer, l'amie, l'ennemie.
Devant les ex-votos, on reste sans voix. On regarde.
Et tout cela se relie et prend sa source dans l'enfance marseillaise, plus exactement.


Il est de coutume de se rendre à Notre Dame de la Garde dès qu'une prière, une douleur, une inquiétude taraudent les habitants de la ville. Ma mère n'a pas dérogé à la règle. Elle a même poussé le zèle jusqu'à monter les derniers escaliers à genoux. En tout cas, c'est ce qu'elle me racontait pour m'impressionner. Mais j'étais déjà un peu rebelle, n'y croyant qu'à moitié.  La Bonne Mère, si j'y vais encore, c'est surtout pour regarder de là-haut Marseille, les îles et la mer. Et aller voir les ex-votos.

Ce que j'aimais, ce que j'aime toujours pourtant, moi qui ne crois qu'en les petits dieux, ce sont les ex-votos de forme diverse qui sont dans l'église. Dans la crypte aussi. Maquettes de bateaux, tableautins, jambes de bois ou encore dessins, plaques de marbre gravées. J'aimais beaucoup cette expression populaire de la vie sauve. Naufrages auxquels on a échappé, maladies dont on est revenu, expéditions, guerres, accidents. De voir ces objets suspendus comme des mobiles de Calder m'a toujours plu. Il y avait là un paganisme que je voudrais voir encore. Il y en a de récents, souvent moins tendres, moins naïfs. Le monde change. Les ex-votos en dressent l'évolution.


Sans doute le Mucem abritera ces expressions d'art populaire. Marseille est superstitieuse. Comme l'était ma mère qui s'entourait de grigris. Et voilà que les suivant l'une et l'autre, revenant de la ville-merveille qu'est pour moi Marseille, je me suis mise tout naturellement à dessiner quelques ex-votos pour remercier les petits dieux de me laisser encore un peu de temps pour les sans patrie et les bonzoms.
Et écrire ici, alors que le temps presse.
Le temps?


mardi 15 janvier 2013

Bleu prison, Soutine







ciel de traîne, bleu prison
SOUTINE





Le vent est bleu, découvrait le peintre et il le savait depuis 1919.

A Cagnes, je l’avais enterré sous le rouge bordant les marches d’escaliers et les yeux des enfants, à Céret dans le toit des maisons, ensuite au Blanc en ouvrant à deux mains le ventre des bêtes, habillant plus tard de rouge les idiots et les morts, ne me lassant jamais de signer mon nom en rouge.


Et voilà que le bleu revenait, ce froid qu’il avait redouté et fui en compagnie de Kikoine, voilà qu’il s’étalait du ciel à la terre, de l’herbe aux nuages.
La couleur des prisons est le  bleu.
De la mer, du ciel et de la chair morte.


Seule la flèche du chemin où se mêlait un peu de rose échappait au bleu. Comme la robe retroussée de Hendrickje, la servante de Rembrandt. Le tableau avait été peint en 1654. Cette robe blanche, la première fois qu’il l’avait observée, il l’avait comprise pour ce qu’elle était, une manière pour le vieux peintre de se sauver. Mais le chemin qu’il avait peint, lui, Soutine, en 1939, se souvenant de la belle matière, ne permettrait pas aux enfants d’échapper à ce qui les poursuivait depuis la Lituanie.


Ce n’était pas un torrent, ni la chaleur, ni le ciel de Céret.
Ni même la neige de Lituanie.
Là-bas en ce temps tout était rouge.
Mais bien autre chose de noir et de bleu.
Les souvenirs longtemps avaient pris la couleur des rochers et des viandes.
Tout ça saignait dans sa mémoire mais ça n’avait rien de triste.
Et puis tout avait basculé.


Peut-être était-ce venu avec la musique. L’Allemande. Une musique bleue, naturellement. Presque noire comme une forêt. Il ne s’était pas méfié. On ne se méfie pas de la beauté. C’était lui qui avait voulu s’en emparer comme de tout ce qui le précipitait dans la sauvage acceptation du monde. Mais là point de folie. Une douceur mortelle.
Car la musique de Bach était la plus belle du monde, au point qu’il avait cru le compositeur encore vivant. Avait demandé à le rencontrer. On lui avait ri au nez. Mais lui : je suis Chaim Soutine, le peintre. Il avait acheté tous les disques[1].


Et là, au fond de lui, au milieu de son corps, ce trou.
Hurlant. Trou du ventre. Rouge. Mais non, bleu, avait murmuré la petite voix. Personne ne comprend ce que tu veux dire quand tu dis : cette douleur est bleue. Et pourtant c’est vrai. Mais les médecins ne savent pas ce que je veux dire en utilisant de la couleur pour décrire une souffrance. Ils ne savent rien du tout! Sont bêtes brutes ignorantes !
Pour eux l’intérieur d’un homme est rose, à la rigueur rouge, mais bleu…
Non seulement ils me croient fou, mais disent que je suis un malade imaginaire !


Heureusement le blanc apaise un peu le cri, panse un peu la plaie.
Il faut juste que nous trouvions lait et bonbons.
Du lait pour la douleur.
Des bonbons pour les enfants.
C’est vrai que parfois cette pauvre femme m’offre des glaïeuls. Pour me redonner du rouge et rendre un peu de couleur à mes vieilles toiles.
Parfois aussi le feu.
Pendant longtemps arbres et maisons. Quelques vivants presque morts. Des enfants idiots et fanfarons.
Et enfin ceux-là, sortis en courant de l’école et moi, avec mes pinceaux et mes couleurs, bleu, vert, blanc, tentant de les rattraper.
Les bonbons pour les appâter.
Et les capturer vifs pour calmer l’irritante douleur.


Mais le bleu recouvrait la toile. Même le noir de leurs sarraus virait au bleu.
Le vert lui-même, j’en venais à le voir bleuir et s’envenimer, comme l’herbe, comme les feuilles au bout des branches.



Le tableau de 1939 a été peint au futur.
Tout parle la langue de la fuite et du départ.
Il faut se dépêcher de rentrer.
Il faut se hâter de partir.
Retour de l'école, après l'orage. Deux enfants se tiennent par la main en sarrau noir, l'un  semble avoir les jambes nues. Le ciel est traversé de traînées nuageuses et le vent agite les arbres courts et l'herbe des prés que le chemin traverse. Ciel de traîne.
Le bleu domine. Avec le vert et le blanc.
Pas de signature visible. Je n’emploie plus le rouge.
Les enfants avancent sur un chemin blanc qui ressemble aux nuages et à la robe de la femme sur le tableau imité de Rembrandt.
C'est un beau morceau de peinture.
Qui fuit sur le chemin?
Où est la maison des enfants? Ils ont quitté l'école et l'orage et courent vers ce que vous ne pouvez pas voir. Hors du tableau.


Je repars en Lituanie. Les allemands sont à Paris.
Dit Soutine en montant dans l’ambulance.


L’hôpital sera blanc.
Les draps, le carrelage.
C’est ainsi qu’on soigne le sang en France.
Avec du blanc comme le lait dont j’ai arrosé mon ulcère.
Mais le lait comme le blanc des yeux devient bleu.
A cause de la lumière du scyalitique[2].


Mon ventre ouvert est bleu.
Des gens s’affairent, effrayés.
La mort est là, disent-ils, en croyant que je ne peux les comprendre.
C’est un juif, dit un médecin.
Sans étoile, ajoute une infirmière.
Ni mauvaise, ni bonne, conclut l’anesthésiste.
Certains ont ri. D’autres, pas.


Sur mon ventre refermé une femme a disposé des glaïeuls entrelacés à mes mains sales. Elle savait que je ne pourrais pas refuser. Ils étaient blancs.
Mais mon cadavre sommairement lavé était plein de peinture.
Plis.
Ongles.
Cernes.
De toutes les couleurs.








[1] Lui je ne le vois que quelquefois dans la rue, habillé avec un costume bleu chic de chez Barclay, toujours très pressé. Je lui dis bonjour, mais il ne parle que pour se plaindre de la radio des voisins qui est c'est certain infernale, tant qu'elle est forte et nous empêche même de travailler. Il préfère écouter des disques avec de la musique de Bach. J'ai voulu lui prêter des disques de musique moderne de jazz, que j'ai en grand nombre, cependant il n'est pas intéressé. (extrait d’une lettre d’Henry Miller adressée en 1939 à Jean Giono)

[2] En 1919, le professeur Louis Verain, de la faculté des sciences d’Alger, mit au point un appareil d’éclairage qui offrait une plage lumineuse concentrée et orientable, supprimant presque totalement les ombres portées. Cet appareil fut commercialisé à partir de 1920 par la société Barbier, Bénard et Turenne qui s’était déjà spécialisée dans la fabrication d’optiques de phares, de projecteurs de marine ou de DCA pour l’armée, de matériel d’éclairage pour aérodromes ou vols de nuit. L’invention du « scialytique » (du grec skia/ombre et luein/dissoudre) améliora radicalement les pratiques des médecins.