Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

samedi 8 décembre 2012

Gel du matin dans le sud

Cher Robert,

Ce matin je ne vous lirai pas, cher ami, un extrait de ce livre extraordinaire de Giorgio Caproni que vous auriez aimé si vous aviez pu le lire.
Il me faudrait le chercher dans la bibliothèque et je ne m'en sens pas la force. Ne m'en veuillez pas.
On s'est réveillé dans de l'or glacé et le vent menace de se lever. Ce qui n'arrange pas mon état. Depuis hier, en effet, je souffre d'un refroidissement et me sens fiévreuse. Ce qui ne m'empêche pas d'ouvrir les volets et de regarder le monde autour de la maison.
Le toit en face de chez nous est couvert de glace.
Le soleil fait goutter les feuilles du magnolia.
J'aimerais que vous puissiez voir tout ça, l'herbe gelée, le soleil doré et la colline. Il me semble que si vous étiez là, vous me proposeriez de me couvrir chaudement pour vous accompagner dans une promenade.

Le feu ronfle dans la cheminée et les chats sont blottis dans les fauteuils. Quant à moi, je n'ai pas résisté à l'envie de vous écrire, même si ma lettre sera courte. J'ai pris quelques photos qui vous donneront une idée de ce gel méditerranéen.
Beaucoup de gens croient que nous vivons dans une région paradisiaque. Ils ont tendance à exagérer les bienfaits du climat sudiste. Outre qu'ici tout est excessif (le froid et le vent par exemple), les gens ne sont pas toujours très hospitaliers et une amie m'a raconté un étrange jeu qui a cours dans les écoles. Le jeu de l'estrangier! Les enfants non natifs de notre village sont ainsi poursuivis pendant la récréation durant une sorte de jeu qui peut rappeler les gendarmes et les voleurs, où les enfants se divisent en deux camps, les natifs et les étrangers.
Ceci vous donne une idée de ce que peut être ce sud dont certains rêvent comme d'une patrie idéale. Il me vient l'envie de vous suivre à Bienne et de rejoindre Gustave Roud dans le Joras. Voilà un poète que j'aurais aimé vous présenter!
Je sais que je suis aussi victime d'une illusion. La fièvre sans doute en est la cause. Rêver de partir, de s'éloigner, permet de supporter l'étroitesse d'esprit des villageois. Vous me pardonnerez de céder si vite à l'illusion du départ.



J'ai beaucoup aimé cette demande faite à votre amie, madame Mermet, de vous envoyer le petit pantalon de son fils Louis. Votre manière de mettre en relation vêtements et sentiments me touche beaucoup. J'ai moi-même un lien assez fort avec les chaussures et les chemises. Aussi je comprends à merveille cette façon de remercier madame Mermet de son cadeau:

"J'ai tout de suite enfilé la chemise et je m'y sens très bien, c'est presque comme si je me blottissais contre la douce et tendre poitrine d'une femme."

J'aime aussi que vous utilisiez le français dans certaines de vos lettres, avec une forme de gaieté linguistique qui est réjouissante pour la francophone que je suis. Evidemment, liebe Robert, je me vois incapable d'en faire autant! Ce que vous dites du travail rejoint tellement ce que je pense que j'en ai été toute joyeuse. Il est parfois difficile de dire combien écrire est une manière d'occuper activement le terrain. Ecrire, peindre, bricoler. C'est tout un.

"Les jours passent très vite quand on travaille. Le travail est un grand bonheur pour nous autres humains imparfaits, toujours un peu inquiets, n'est-ce pas, chère Madame Mermet."

Lors de vos envois professionnels, vous savez adopter un ton ferme et justifier à la fois vos demandes d'argent et vos exigences sur la maquette du livre. Voilà qui nous donne du grain à moudre. Lire vos lettres me réconfortent ce matin. Je vous en remercie et prends congé de vous, en utilisant une de vos formules, que j'aime particulièrement.
Dans l'espoir que vous êtes serein, que les jours s'écoulent pour votre plaisir et que vous êtes un peu content et un peu mécontent de ma lettre, je vous adresse mes salutations matinales et cordiales, et pour ainsi dire respectueuses,
votre
S.D.


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