Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

mardi 27 novembre 2012

Mettre à chef, à fruit, affruiter..la douleur dans le nom Algérie

C'est ici, où loin de résider, j'habite, que va s'édifier la hutte du sans patrie.
La lutte de l'heimatlos avec la langue.
Combats de l'ange sans langue.
"J'ai vécu en maçon dans ma langue", a écrit Thierry Metz.
Un garçon que je connais, lui, a écrit sur Facebook:
rein te nuef
a prare travalie
Et le lisant je l'entendais.
Et savais combien il est difficile pour lui d'écrire sa langue si ce n'est en la maçonnant de sons.


Edith Azam est en Algérie. Elle s'y sent bien, me dit-elle.
Et pourtant ce mot.
A la maison, imprononçable quand j'étais enfant.
Nos voisins, des pieds-noirs, parlaient de violences et de souffrances en tous genres.
Je ne connaissais pas encore le mot torture, ni la douleur d'être séparés par la mer.
Les voisins avaient des fils, on jouait ensemble sur la colline. En fait un remblai de terre que les machines avaient repoussé contre le mur qui séparait les achélèmes des Tilleuls de l'Hôpital Militaire Lavéran.
On inventait des jeux pour ne pas entendre les paroles des adultes.
Je devenais le maître des histoires mais je ne le savais pas encore.
On vivait entre plusieurs pays, entre plusieurs douleurs.
mais nous ne le savions pas encore.

Elle, mon amie Zohra plus tard, séparée de ce nom d'Algérie.
Le mot commence douloureusement.
Le pays souffre.
Tout pays?
C'est Wahiba Khiari qui m'a permis de voir ce lien entre le nom Algérie et la douleur.
Algie/névralgie/antalgie.
Alger, soeur jumelle de Marseille, comme Zohra était pour moi double joyeux.
Toutes trois, Algérie, Zohra et moi, filles.

Il y a toujours cette inquiétude du sans patrie.
Qui n'en finit pas de se demander s'il existe des verbes masculins et d'autres féminins comme souffrir.
Qui dresse des listes comme d'autres des mâts.
Liste de verbes masculins?
Le verbe est comme le pays. Il y en a des masculins et des féminins.
Des patries féminines: France Finlande Islande Chine Norvège Algérie Tunisie.
Et des pays masculins: Vénézuéla Mexique Portugal Japon Danemark Maroc Mali.

Qui a décidé de ça?
Je ne sais rien de ça.
Je suis en attente de savoir.
L'étymologie?
Ou le désir bien français de classer le monde, de mettre en ordre définitivement ce qui pourrait encore bouger, trembler.
C'est une question française.
Est-ce que la France a un rapport avec la franchise, la sincérité?
Mauvaise pioche.

Un atlas, des cartes, des pays, des territoires.
Beaucoup de masculin, un peu de féminin: la mer.
En Bretagne, on s'est étonné de m'entendre dire la mer, l'auto. Devant les vagues et la marée, un seul mot pour moi, la mer. Océan du féminin.
Quant à la machine à écrire qui me transporte gentiment le plus souvent, ce ne peut être que l'auto. A une époque associée à la couleur rouge.
Ce qui me rendait le monde lisible, d'un côté l'auto rouge et de l'autre, la mer bleue.

Ce matin, j'ai dressé une liste de verbes masculins. je reconnais que c'est une idée assez bizarre. J'ai tracé deux colonnes et d'un côté, écrit l'un sous l'autre, 6 verbes de cracher à bander et de l'autre: leur tenir tête, ai-je écrit.
Il faut dire qu'en ce moment je ne suis plus à Beauséjour où j'ai découvert le plaisir d'écrire tout en colonnes.
Et puis hier un ami m'a demandé si je ne voulais pas faire l'acquisition d'une table de métier.

Je me suis demandée ce qu'il voulait me signifier: était-il temps que j'écrive sur une table de métier à mon âge?
Mais non, bien sûr. Seulement une table qui servait à des métiers spécifiques comme tailleur par exemple. Certes je brode, mais ça peut se faire n'importe où. L'invention de la broderie pour les bonzoms est venue du besoin de couleur pour eux. Je n'avais pas de bonne peinture avec moi, alors le fil, n'est-ce pas, était tout trouvé. Une table n'a pas de nécessité. Et de métier encore moins.

Ce que je retiens parfois d'un livre lu tient en si peu que ça me désole. Mais là, cette expression prise chez Xavier Girard dans son Soutine me ramène aux bonzoms de Rennes et à l'écriture: travailleurs de la semaine. Le livre de Georges Didi-Huberman ouvert ce matin leur donne des visages aussi à travers les photographies de Philippe Bazin. Peuples des semaines, voilà les bonzoms qui se réveillent en même temps que Smouroute. ils viennent du même pays. En fait un assemblage hétéroclite de noms féminins et masculins, Bretagne-Marseille-Algérie-Vent du large-îles du Frioul etc...

chez Stéphane Landois, Atelier du Hanneton

1 commentaire:

  1. Me vient là, à l'idée, que justement, ce qui pourrait donner maison, asile, au sans patrie, ce serait de l'accorder au féminin, dire la sans patrie...

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