Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

mercredi 21 novembre 2012

Avoir en soi l'hiver et la mer, langue de poésie pour voyage

La tour Gabriel, Lorient, 20 novembre


Une de ces idées qui vous viennent en lisant des poètes comme Georges Perros. Des comme lui qui n'ont pas fait oeuvre au sens où on l'entend, par exemple derrière le mot carrière. Qui n'évoque pour moi que chantier et taille de pierres.
Conserver un peu de ce bleu froid qui a ouvert le ciel ce matin.
Une phrase de Kafka qu'on cherche dans son foutoir et qu'on ne retrouve pas où il est question de la forêt et de l'implacable nécessité de s'y enfoncer. Les cris des mouettes et des goélands.
Et l'arbre paternel qui sourit encore, jusqu'à vendredi, chuchote-t-il.
Parce qu'après...On n'est pas allé à Douarnenez mais à Lorient, et c'est bien de découvrir qu'à côté des tours qui percent le ciel, il y a des maisons bleues.

Lorient, 20 novembre, une maison bleue

Mais le matin nous retrouve chez nous, à Beauséjour, à Rennes!
Et là, je retrouve le pré, mon ami le pré qui ondoyait sous le vent de toutes ses herbes et se prenait pour la mer d'Iroise, eh bien!
En mon absence, on l'a fauché, volé, couché son herbe malicieuse et seul, un chat, celui qui a rendu invisible l'écureuil de Valérie Rouzeau, chat noir et blanc à l'élégance raffinée, observe les dégats en se disant sans doute que sa chasse va en être facilitée.

Le pré fauché, 21 novembre

 La destruction du paysage a commencé patiemment.
Avant que j'arrive, après le départ. J'étais la gardienne de mon père et maintenant? Rester des heures face aux décombres empêcherait des destructions supplémentaires, croyais-je.
Les plaques goudronnées de la cour de l'ancienne menuiserie Guitton luisent à la lumière.
Tout parle la langue des commencements.
Mon père s'agite.
Le vent se lève etc...Valéry encore, mais pas V.R.

mon père en autoportrait de Rembrandt


Si mon père sourit dans l'arbre,
tel chat de cheshire
iras-tu le dire?

Lectures emmêlées :Guillevic, Ronsard, Du Bellay récité en soi, " Et de moi, comme étrange, les muses s'enfuient"...

Je suis encore en face de la fenêtre, ma fenêtre d'écriture. Pourtant la ruine est à l'oeuvre, qui a nom rénovation urbaine.
Bientôt, il y aura quelqu'un d'autre qui la transformera en fenêtre d'autre regard.
Ici sont nés les bonzoms, compagnons de l'heimatlos, mon sans patrie.
Et alors?
Il y aura ici tellement de naissances à venir que je peux soulever de terre mes pieds et m'en aller, coeur léger, coeur lourd, mais qu'importe, voyageuse? N'es-tu pas là comme passagère? A bord du bateau au doux nom de Beauséjour? Tout poète n'est-il pas voyageur comme ton père l'était de peinture?

Villes aimées en Bretagne: les maritimes bien sûr, Brest, Cancale, Lorient.
Tendresses aux terrestres Fougères et Rennes. Salutation au ciel et au pré, au canal et au jardin. Aux aimés.

Mais la mer, plus que tout, à cause de la pudeur. Et le travail qui va avec, comme la rêverie.

le port de Lorient


Hier à Lorient (quel beau nom pour un port, quelle mélancolie aussi) un enfant a répondu à la question de Gwenola sur la fonction de la Maison de la Poésie de Rennes: c'est pour apprendre à parler poésie.

Apprendre.
L'arbre s'agite beaucoup ce matin, il sait mon inquiétude. Comme le ciel, lui aussi, traversé de doutes en forme de nuages.
Comme certains de mes bonzoms, je suis coupée en deux par une ligne bleue ou rouge. Nomade d'un côté et sédentaire de l'autre.
Derniers bonzoms


Aujourd'hui est un jour clair, un jour bleu aussi, comme dans le livre que je lisais enfant où la poupée Miette de la maison des Van Poppel, releguée au grenier, pouvait, grâce à Kes le corbeau, le temps d'une journée, le jour bleu, voir ses rêves réalisés. Musée éphémère rencontré aussi à Lorient, dans la grâce de moments inattendus et joyeux, ces gens occupés à créer ensemble, autour de tables, objets de fête et ce geste de nous offrir en viatique pour le retour  Rennes un beau livre-catalogue, flambant rouge: idées détournées. Lorient nous est amicale et j'ai envie de revenir arpenter ces lieux où on habite le monde détruit d'une autre manière.

Lorient, l'embarcadère, 20 novembre


Comme le compagnon blanc, petite fleur des talus, voisine avec l'ancolie et le coquelicot, ce soir nous serons trois à voisiner pour tenter de parler poésie, au balancement de l'eau sous le bateau répondront nos voix. Et puis...il faudra laisser la place.

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