Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

mardi 30 octobre 2012

La traversée du paysage, de Rennes à Avignon

Je n'ai pas bien mesuré ce que j'ai traversé en quittant Rennes pour rejoindre Paris puis Avignon. On roule vite sur une autoroute. Je me disais: est-ce là de quoi alimenter la patrie portative dont tu ne cesses de rêver?
Quand tu es dans une auto, la durée du voyage et la distance sont confondus.
C'est la meilleure manière d'écrire. Sauf qu'on ne peut pas, écrire, dans une auto.
Il y avait de chaque côté de la route de la campagne, des paysages que je n'avais jamais traversés. Il y avait aussi dans ces maisons et ces forêts, des gens. Ces gens parlaient entre eux ou seuls, et utilisaient des mots pour se faire entendre. Même seuls, il leur arrivait de chanter ou de parler. Peut-être pour vaincre la peur que l'on a en traversant.
La forêt, la rue, sa famille.

On en revient toujours au même endroit : la langue.
Car il s'agit bien de cet étrange petit mot, traverser.
Traverser sa langue.

A Marseille, une traverse est une ruelle, petite, qui permet de couper, d'aller plus vite son chemin.
Ce n'est pas une impasse. Dans mon quartier, là où j'ai vécu enfant, à St Jérôme, il y avait, il y a toujours sans doute, la Traverse des Polytres. Nous y venions, ma mère et moi, depuis les achélèmes où nous habitions pour nous rendre chez la couturière italienne, madame Rossellini. Chez elle, je lisais en cachette le Corriere della sera, sentant bien, rien qu'à voir les couvertures, qu'il y avait  là quelque chose à ne pas regarder. Accidents dramatiques, assassinats, catastrophes en tous genres étaient à la une. Je m'en délectais en sachant combien ma mère désapprouvait ce genre de lecture.

Et puis il y a aussi travers. Sorte de défauts. Marcher de travers, mauvaise route, mauvaise manière.

Et traversée. Mot plus tendre et positif que le précédent.

J'ai lu pendant le trajet Paris-Avignon, passant de la lumière à l'obscurité, un étrange petit roman de Boris Schreiber, La traversée du dimanche, roman qui lui a valu de recevoir le prix Sainte-Beuve en 1987. Ce récit a ramené à la surface la question du devoir certes, mais surtout la question du point de vue. Ici il s'agissait du narrateur, Béator, vieil enfant quinquagénaire dont l'unique préoccupation en ce dimanche, est de savoir s'il ira ou non voir sa mère à l'asile. Il s'agit non seulement de traverser la ville mais aussi la journée et surtout un empêchement intérieur. Personnage trouble et antipathique qui parle de lui en disant nous et dans lequel pourtant on peut se reconnaître.

"Il nous faut sortir. Nous rangerons tiroirs et vêtements à notre retour. Sortir, nous mettre en route. Sans avoir brisé le cercle. Apparaître toujours pitoyable aux yeux de notre maman? (Une si longue absence, et toujours pitoyable?) D'autre part, apparaître sous un jour autre, c'est-à-dire délivré devant notre maman, sans un cadeau pour son anniversaire, ne serait-ce pas la preuve que notre délivrance est impuissante? Lui crier notre délivrance sans le moindre cadeau, impensable. Et lui tendre un cadeau en doutant de notre délivrance, impossible."


Et j'en reviens à ce mot de traversée qui est un des mots de mon dictionnaire de résidente à la villa Beauséjour car il est question de traverser une ville, le temps, le territoire aussi, depuis Rennes jusqu'à Brest, le silence de la maison de la poésie la nuit, la langue, les textes, l'écriture que ce soit seule ou en compagnie, traverser pour revenir. Traversée de la mer, de l'océan, des terres bretonnes. Et là ce soir, la maison. Je note très vite pour ne pas oublier: acheter Théorie des maisons, éditions Verdier. Et je me souviens qu'hier soir j'ai traversé la maison pour la retrouver en me demandant ce que devenait l'autre, ma maison portative, ma maison de résidente, là-bas, à l'ouest.

Traverse de la Poésie, rue Armand Rébillon.

Un peu plus loin, un peu plus tard, je découvre que les achélèmes de mon enfance ne s'appellent plus comme ça. Sur google maps, je découvre leur nouveau nom: Résidences Les Tilleuls. Tout a changé. Avec un mot qui n'a pas le même sens que celui que j'emploie pour expliquer (ou tenter) ce que je suis à Rennes, une résidente.

Un autre mot pour mon dictionnaire!


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