Sylvie Durbec,
En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes

dimanche 21 octobre 2012

Expérience de la lessive

Pas celle de Nausicaa et de ses servantes et de l'apparition d'Ulysse entre les buissons.
Méditerranéenne rencontre de la jeune fille et du naufragé.
Ni lessive de la folie à Saorge, là-haut, en Mercantour.

Expérience prosaïque plutôt. D'une certaine forme de précarité.
Celle du linge. Sale d'abord et transporté dans un sac de voyage.
Propre ensuite et mouillé, transporté dans le même sac à qui jamais pareille histoire n'était arrivée.

Ou expérience de l'utilisation de machines à sous pour perdre et pas du tout gagner.
Ou encore que le séchage du linge en laverie veut dire repartir avec son linge un peu moins mouillé mais mouillé tout de même.
Qui sont les gens qui viennent laver leur linge ici?
Des étudiants le plus souvent.
Des gens dont la machine à laver a rendu l'âme et qui ne peuvent s'en acheter une.
Et des poètes en résidence.
On croise donc des gens au Lavomatic de la rue et ils sont jeunes et gentils.
Se demandent que fait une dame comme moi ici. Mais ne posent pas la question. Sont polis. Etudiants en corps humain, c'est ce que j'aperçois du livre ouvert sur des membres et des muscles. Médecine, Kiné?
En tout cas lecteurs et au courant du fonctionnement des satanées machines à sous.
Je vais recevoir ma première leçon de lavage en machine.
J'ai affaire à des pédagogues, un peu inquiets tout de même devant ma maladresse.
C'est un peu comme regarder la télé, je leur dis.
D'un oeil on surveille sa lessive qui tourne gentiment en moussant. De l'autre l'auto, pas trop bien garée en face, à côté du restaurant chinois. Et de temps en temps on lit.
Le dépaysement, voyages en France.
C'est le livre que j'ai choisi de lire à la laverie avant de rejoindre une amie au cinéma.
Ce qui permet de poursuivre le questionnement sur la patrie portative.
De ça, motus et bouche cousue, je ne dis rien à mes jeunes compagnons d'aventure lavomatique.
Déjà qu'ils se posent des questions à mon encontre, si je leur parlais de patrie et qui plus est portative, je crois qu'ils ne me viendraient plus du tout en aide.
D'autant que je vais en avoir besoin puisque je constate avec horreur que le séchage, malgré les pièces dûment mises dans l'appareil, ne fonctionne pas. Eh oui, il fallait veiller à ce qu'aucun tissu n'entre en contact avec la porte. CQFD.
Et c'est pour ça qu'elle ne tournait pas, ma lessive!

Quid de la France ici?
Nous sommes trois français, au moins à fréquenter ce samedi soir le lavomatic de la rue Legraverend.
Qu'avons-nous en commun de français? La langue. Nous pouvons lire tous les trois les instructions.
Et les comprendre. Nous avons des références communes au sujet du linge et de la lessive.
La rue que nous voyons puisque nous sommes dans un lieu entièrement vitré, est une rue française. Les voitures qui passent portent une plaque d'immatriculation française. Et les gens sur les trottoirs qui nous regardent à travers la buée ont l'air français sans que je sache très bien ce que ça veut dire, avoir l'air français.
Et le paysage s'obscurcit peu à peu à cause de la nuit qui vient.
Quand hier, avec G. nous nous sommes rendus à Betton, j'ai reconnu une campagne française. Et je suis toujours à me demander ce que peut bien vouloir dire cette obsédante expression de patrie portative et là, me vient en aide, au moment où ma lessive tourne enfin au séchage, Jean-Christophe Bailly: la Bretagne est un bout du monde (français) et il suffit d'égrener la litanie des noms propres de Bratagne pour que le récitatif du voyage prenne la forme de ce que je cherche ici et ailleurs, la définition (?) de la notion de patrie portative.
Machine à écrire portable jusque dans les laveries automatiques de Bretagne, la voilà qui me suit partout comme un bon chien, mon vieux Vadim laissé dans le sud et qui me manque comme me manque la claire pensée du matin, lumineux et tendre pays natal dont je ne sais plus rien loin de lui, que mon effort à chercher à le dire!

"De la sorte, au lieu de ressembler à une surface finie, comme celle que présentent les cartes (...) le pays apparaîtrait comme une sorte d'espace all over, chacune des lignes de cet espace, quoique écrite dans la chair du monde, ne laissant aucune trace: dans l'air pas même un sillage, dans l'eau, quelques bulles et, sur terre, un peu d'herbe froissée." Et JCB ajoute:" quelque chose du pays, justement, nous reviendrait."

Du linge à la ligne, juste un déplacement de lettre.
Nécessaire.






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